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par touslesnomssontdéjàpris » 01 déc. 2010, 20:05
Bonjour,
Merci pour vos avis.
Bien entendu, comme j'ai derrière moi un grand nombre d'heures de vol, je n'ai fait que suggérer les corrections à l'auteur, comme je le fais toujours et l'ai toujours fait pour les changements de ce type. Quand j'ai pu le faire, j'ai également conseillé de tourner les phrases autrement pour carrément éviter le mode subjonctif.
Je ne sais pas encore ce que l'auteur a décidé de faire par la suite. L'éditeur me le dira certainement.
Cela dit, je me souviens m'être fait taper sur les doigts il y a... longtemps... pour ne pas avoir mis d'imparfaits du subjonctif dans un roman du même style...
Le présent dans la subordonnée est choquant notamment quand le verbe de la principale est au passé simple (donc c'est bel et bien révolu), pas vous ?...
Il est vrai par ailleurs que, comme j'ai l'occasion de parler en italien quasiment tous les jours et espagnol de temps à autre, je suis peut-être inconsciemment influencée par ces deux langues où l'imparfait du subjonctif, certes plus agréable à l'oreille que le nôtre, est toujours de mise et se fond aisément dans une conversation, même banale.
Cela dit, devons-nous sauter à pieds joints dans le piège de la paupérisation du langage et suivre les moutons, au risque de ne plus savoir, à plus ou moins long terme, "qui" et "ce que" nous sommes ?
Voici deux phrases relevées dans le roman :
Quoique sa terreur soit (!!!) bien réelle, il ne put (!!!) s'empêcher de le détailler durant quelques longues secondes. »
Bien entendu j'ai suggéré "fût".
« ... pas convaincu qu'il soit (!!!) impossible de regagner dès à présent (!!!) un endroit plus civilisé, il décida (!!!) de se rendre compte par lui-même. »
Suggéré "fût" et "dès lors" (et non "dès à présent"), l'auteur relate une action passée, totalement révolue, sans aucun lien grammatical avec le présent.
Je suis tout de même fort surprise d'apprendre qu'il vous est possible de laisser ces phrases en l'état sans même sursauter d'effroi et, parallèlement, de vous voir batailler longuement autour d'une histoire de trait d'union... Cela me sidère quelque peu !
Sérieusement, pourriez-vous lire ces phrases à haute voix, telles qu'elles figurent ici, sans être choqués ?
Personnellement, s'il y a bien des cas où je ferme les yeux, mais dans des phrases telles que celles-là, je ne le peux vraiment pas. C'est contraire à toute logique grammaticale, je dirais presque à toute logique rigoureusement "mathématique" !
C'est d'autant plus troublant que, romans de gare ou pas (et alors, qu'est-ce qui nous autoriserait à les corriger différemment que les autres ouvrages ? Si je suis l'idée de certains, il y aurait une littérature de riches et une littérature de pauvres ? Fichtre !), l'auteur a une écriture assez raffinée, un style élégant, un langage riche, des tournures emplies de poésie... Rien à voir donc avec un langage "de la rue", si je me fais bien comprendre. Par conséquent lorsque, au beau milieu d'un texte bien tourné, plutôt joliment écrit, mes yeux tombent sur ce genre d'anti-concordance des temps (certains écriront certainement anticoncordance je vois d'ici la discussion que cela va engendrer quant à la nécessité ou pas de mettre un trait d'union...), cela me gêne et tracasse d'autant plus, pas vous ?...
Notre rôle consiste à corriger, y compris en ce qui concerne les traits d'union, certes, mais également à conseiller l'auteur un peu plus "en profondeur". En l'espèce, plus je lis ces deux phrases (qui ne sont que des exemples parmi d'autres) et plus j'estime que l'auteur se rend encore plus ridicule en utilisant un présent du subjonctif là où une logique élémentaire requiert un imparfait (d'autant plus que le verbe être et le verbe avoir à la troisième personne du singulier de l'imparfait du subjonctif ne heurtent pas du tout l'oreille).
Donc, bien entendu, je n'ai pas corrigé à proprement parler (je l'aurais fait sans ambages il y a quelque vingt ans seulement). J'ai pris la peine de "pédagogiquement" suggérer, d'expliquer... Quand il y a une ambiguïté, j'explique et je suggère toujours en marge (parfois j'y consacre bien du temps... non rémunéré bien sûr). L'auteur fait ce qu'il veut après, mais il le fait alors en toute connaissance de cause.
Voici d'ailleurs un extrait du courrier que j'ai adressé à l'éditeur (qui souhaitait discuter avec l'auteur) en même temps que le roman corrigé :
...]« Tempête dans un crâne… » ou les dilemmes du correcteur :
Les imparfaits du subjonctif que j’ai été amenée à suggérer, quoique avec parcimonie (notamment les « fût » et les « eût » dans les passages narratifs), ne l’ont été que lorsque vraiment il ne m’était pas possible de faire autrement (cas d’un passé simple dans la principale et d’un subjonctif dans la subordonnée par exemple).
Certes, un imparfait du subjonctif rend la phrase un peu plus « recherchée » (et non forcément emphatique, ridicule ou désuète). Ce côté « langue pure » et « logique grammaticale implacable » (d’une rigueur quasi scientifique (présent = présent et passé = passé) convient, me semble-t-il, à un style qui se voudrait raffiné (tel celui de l’auteur).
Un présent du subjonctif à la place d’un imparfait peut souvent, avec sagesse, être « toléré » dans la langue commune. Dans les dialogues en langage courant notamment, on fera mine, avec tout autant de sagesse, de ne pas l’avoir vu et on fermera l’œil. D’autres fois par contre, ce mélange quelque peu « forcé » de présent et de passé dans la même phrase rend celle-ci si étrangement bancale, voire si horriblement boiteuse, qu’il n’est pas logiquement possible de l’accepter. Même le lecteur le moins érudit « sentira » (à défaut de savoir) qu’il y a « quelque chose qui cloche », « un truc qui sonne faux ».
Il ne s’agit pas d’appliquer à la lettre et avec une rigueur toute militaire une grammaire prétendument surannée mais d’éviter d’être ridiculement « moderne » ou « moderniste » en construisant des tournures qu’à l’oral on ne saurait prononcer, même au XXIe siècle, sans tourner sept fois sa langue dans sa bouche…
De deux maux il faut choisir le moindre : avoir l’air légèrement « précieux » (mais pas forcément ridicule) mais s’exprimer avec justesse (tout l’art consisterait par ailleurs à éviter ce type de piège en écrivant des phrases permettant de contourner le problème) ou tomber dans le traquenard du nivellement par le bas et de la paupérisation du langage en s’exprimant d’une manière prétendument moderne mais véritablement incorrecte et ridiculement illogique. Ceci, par ailleurs, je le rappelle, ne sied pas à la prose de cet auteur qui, somme toute, est plutôt recherchée et élégante.
Il y a en effet quelque incongruité à faire ce genre d’écart grammatical quand par ailleurs on écrit assez finement, dans un style agréable et plutôt d'une élégance "classique". Autant je pourrais, à la rigueur, tolérer ce type d’erreur dans un registre plus « familier » que celui de l'auteur, autant son style d’écriture, recherché, raffiné par endroits, comportant même des mots dont les lecteurs devront vraisemblablement découvrir le sens dans leur dictionnaire… se prête mal à ce qui demeure, tout bien considéré, une grosse erreur grammaticale, même en 2010.
Parfois le correcteur peut tolérer, fermer un œil, dans un esprit louable de prétendue « modernité ». Je vous l’accorde. Dans les cas cités ici, ce n’est pas possible, les accords au présent seraient trop visiblement, voire ridiculement fautifs, même pour qui n’aurait guère flirté avec la grammaire. Ne pas mettre d’imparfaits du subjonctif dans ces phrases est autrement bien plus étrange que d’en mettre quelques-uns qui ont au moins le mérite de « tenir la route » grammaticalement, et cela d’autant plus qu’il n’ont pas de désagréable et inélégante terminaison en asse. Dans la première phrase citée, par exemple, le « fût » se confond, se « coule » dans le texte, se marie joliment à la phrase et se comprend parfaitement, même quand on est issu de la « France d’en bas » que, pour ma part, je ne saurais traiter avec mépris !
Ne croyez pas que ce type de correction s’effectue toujours facilement et de gaieté de cœur !
Mais comment cela se passe-t-il ?
Aïe ! Voilà que, au cours d’une lecture, parfois juste quand la tension se relâche un peu, arrive sournoisement, en catimini, la nécessité aveuglante de mettre un imparfait du subjonctif.
Tiens ! C'est comme un flash de radar sur la route alors qu'on roule "pépère".
Le pauvre correcteur ouvre de grands yeux et dit tout haut : « Oh ...flûte, en voilà encore un ! » ...Mouvement de recul, perle de sueur sur le front, nez qui se fronce, bouche grimaçante, « LE » dilemme. Tiraillé par des sentiments contraires, il entend déjà d’un côté les hauts cris de l’auteur en colère et voit les sourires sur les lèvres de certains lecteurs, mais aussi, de l’autre côté, les reproches d’autres personnes et les rires sous cape des érudits gratte-plume... de tout poil. Alors il affronte, recule, hésite, tâtonne, retient sa main, inhibe sa volonté. Puis, il relit la phrase, à haute voix parfois, comme pour mieux la « déguster », à la manière d'un vin dans sa bouche, et essayer de trouver enfin une bonne raison de… donner raison à l’auteur contre tous les grammairiens et académiciens de France et de Francophonie réunis. Ah, si seulement c’était possible ! Il tourne la phrase et la retourne mentalement avant de décider de la corriger ou pas. Et encore ! Il ne corrige qu’à la troisième personne du singulier ! S’il a affaire à un pluriel ou lorsqu’il faut mettre plusieurs imparfaits du subjonctif dans la même phrase, il cherche, parfois longtemps, jusqu’à pouvoir enfin suggérer autre chose et, si possible, éviter d’en passer par le fameux et tant décrié imparfait du subjonctif.
Cela s’appelle essayer de ménager la chèvre et le chou…
... Ouf ! Il y est parvenu, mais cela n’a pas été sans peine.
Devons-nous tolérer n'importe quoi parce que les gens sont devenus des fainéants du verbe ?
Réfléchissons. Je sais pertinemment que ce type d’ouvrage s’adresse à un public qui n’a peut-être jamais côtoyé l’imparfait du subjonctif (ou alors, tel M. Jourdain faisant de la prose, l’a utilisé sans même le savoir…).
La belle affaire !
(...)
Dans ces moments de sa communion privilégiée avec la langue française, ces trop courts instants d’évasion que le lecteur arrache à sa réalité quotidienne, faisons fi de la médiocrité et ne le traitons pas comme d’autres le font. Le lecteur met sa confiance en l’auteur, en l’équipe éditoriale tout entière et par conséquent peut prétendre à un minimum de considération et de respect. C’est lui faire offense que de penser qu’il est inculte et ne mérite pas un niveau de langue correct que l’on préférera réserver à une prétendue élite…
Permettez-moi de frémir d’effroi à la seule évocation de cette injurieuse hypothèse ! Je laisse à d’autres cet état d’esprit que jusqu’ici j’osais espérer d’un autre temps. Il y a assez de la télévision (aux programmes dont la niaiserie est parfois blessante) et d’autres médias (il n’est qu’à voir le nombre de sites Internet où les fautes les plus grossières sont légion) pour maintenir les gens dans l’ignorance et la médiocrité !
Si, de la lecture d'un roman, quel qu'il soit, le lecteur ressort intellectuellement grandi, s’il s’est plongé avec délices dans une beauté de la langue à laquelle il n’est hélas pas (plus ?) accoutumé, en retirant même un peu de la « substantifique moelle » si chère à Rabelais dont nous lui faisons cadeau à peu de prix, même s’il n’a appris qu’un seul mot nouveau à la lecture dudit roman, n’avons-nous pas accompli ensemble une bien belle mission ?
Il ne convient pas niveler la culture du peuple par le bas parce que ce dernier n’est prétendument pas en mesure de comprendre ! Fichtre ! On se croirait dans nos collèges et lycées, version années 2000 !
... Une amie, professeur de français dans un lycée d'une zone pourtant non défavorisée, me disait, il y a quelques années déjà, que les œuvres de Racine, de Corneille, voire celles de Molière, n'étaient plus au programme de certaines classes, parce que le "niveau de langue" de ces immenses œuvres était devenu inaccessible à la plupart des jeunes...
Il ne m'appartient certes pas de juger les décisions de l'Education nationale, je déplore seulement ce nivellement du langage et de la pensée par le bas... Je me contenterai notamment d'exprimer des craintes quand, dans quelque temps, nos chères têtes brunes et blondes glisseront un bulletin dans l'urne...
Gardons-nous de tomber de Charybde en Scylla, du piège de la facilité à celui de l’ignorance, de peur de ne produire un jour dans ce pays que des têtes bien faites mais peu pleines… et peu pensantes.
Si nous mettons çà et là dans vos ouvrages quelques indispensables imparfaits du subjonctif et autres "vieilleries"… Quel risque courons-nous sinon celui d’élever un peu le niveau de français du lecteur de temps à autre ? Dans le cas contraire, même ne connaissant pas la grammaire, même ne sachant pas corriger lui-même, le lecteur « (re)sentira » implicitement, telle une épine dans le pied, une concordance des temps fautive, étrangement « bancale ». Le cerveau agacé, l’oreille quelque peu titillée, voire meurtrie, il relira alors ladite phrase à voix haute, une fois, deux fois… et se dira finalement qu’il y a bien un « je-ne-sais-quoi-je-ne-sais-où-qui-ne-va-pas » auquel l’auteur, pourtant doté d’une élégante plume, ne l’avait jusque-là guère habitué.
Si j’analyse parfaitement les griefs de l'auteur et respecte son point de vue bien plus qu'il ne tolère le mien, je n’ai pour ma part absolument pas le droit de considérer quelque « lectorat » que ce soit comme un « sous-lectorat » de bas étage car de basse condition. Ce serait ouvrir la porte à un intolérable « n’importe quoi pourvu que ça se vende et que la plèbe achète ». Il faudrait donc que le correcteur fît… — Flûte ! Allons bon ! "Manquait plus q’ça"… Allez ! Va pour « fasse » — que le correcteur fasse donc un tri entre les lecteurs, érigeant en règle une sorte d’apartheid de fort mauvais goût entre les diverses maisons d’édition et/ou collections pour lesquelles ils est amené à travailler et à répartir les lecteurs par classes sociales ? Le "Ciel" ou Karl Marx m'en préserve !Or, il ne saurait y avoir pour les correcteurs de « petit bouquin » pour « petit public ». Il y a le français, la grammaire, la typographie, l’orthographe qui sont les mêmes pour tous les citoyens de ce pays. De quel droit nous autoriserions-nous une telle sélection ? Sur quel fondement peu charitable, voire méprisant, oserions-nous le faire ? Nous correcteurs n’avons pas le droit de traiter avec mépris quelque lecteur que ce soit, de crainte d'y perdre notre crédibilité, voire notre âme.
Aller parfois contre l'auteur est une décision est difficile à prendre pour un correcteur digne de ce nom. Un peu à contrecœur parfois, et même s’il lui serait autrement plus facile et agréable de faire plaisir à l’auteur, il est obligé d’humblement pencher du côté de la grammaire car il est là avant tout pour appliquer et faire appliquer strictement les règles, pas pour tergiverser une heure sur une phrase que, pertinemment, il sait incorrecte.
Vous citez Marcel Proust qui, bien qu'il en usât lui-même beaucoup, prétendait ne pas aimer les imparfaits du subjonctif... L’écrivain pouvait certainement, du haut de la haute opinion qu’il avait de lui-même et du piédestal où il avait été placé, se permettre de penser et de clamer ses griefs contre l’imparfait du subjonctif et autres usages grammaticaux dignes de barbares ainsi que de transgresser les règles. C’est là le privilège des écrivains. Les modestes correcteurs se penchant sur ses écrits n’avaient quant à eux vraisemblablement pas droit à ce choix…
En tout état de cause, l’auteur reste cependant l’unique propriétaire de son texte et se trouve donc libre de refuser telle ou telle correction, après, on le souhaite, une aussi mûre réflexion que celle du correcteur… Cette décision n’engagera que lui.
Qu’on ne se méprenne pas. Il s’agit de collaborer, de proposer mieux, de travailler main dans la main, de mettre en valeur des éléments du texte et de respecter avant tout le lecteur… pas de vainement mener un combat d’arrière-garde ni de réécrire le texte. Loin de nous cette idée !
N'oublions pas, chers confrères et chères consœurs, que :
« Un auteur est peu propre à corriger les feuilles de ses propres ouvrages : il lit comme il a écrit et non comme il est imprimé. » (Voltaire)
Je ne suis pas écrivain. Pardon pour ce long "pensum" que je n'ai pas eu le temps de bien relire... On m'appelle à une autre de mes "spécialités"... en cuisine ! J'espère que ce sera plus réussi. J'entends les estomacs crier...
J'espère que les passages que j'ai mis en italique et en couleur apparaîtront comme il faut...
Un gros bisou à tous.
Bien confraternellement.
"Mamie"