azucena a écrit :
Je n'ai pas "choisi" d'être auto-entrepreneur et je pense que, toutes professions confondues, nombreux sont les demandeurs d'emploi quinquagénaires qui, en France, ont été forcés de se tourner vers ce sous-prolétariat, faute d'espérer pouvoir trouver un travail...
Il eût été grandement souhaitable que des syndicats tels que le vôtre s'en préoccupassent. Mais non, ils préfèrent à présent crier haro sur les victimes... mais pas sur les coupables !
Azucena, avez-vous lu ce que j'ai écrit au sujet du Syndicat des correcteurs ? Il s'attaque aux employeurs indélicats, les emmenant entre autres devant les prud'hommes quand cela s'avère nécessaire. Ne le critiquez pas sans le connaître. C'est un tout petit syndicat, avec peu de moyens, qui fait ce qu'il peut, sans se tromper de cible. Il n'a jamais crié haro contre les correcteurs dans votre situation — qui m'a d'ailleurs beaucoup émue. Il essaie seulement, on essaie tous, de mettre en garde les correcteurs auto-entrepreneurs contre les dangers de ce statut. Je crains d'ailleurs des douches glacées pour ces AE quand ils devront commencer à payer la taxe professionnelle. Tout nouveau, tout beau, on ne mesure pas forcément les conséquences à moyen et long terme.
Être syndiqué, c'est une force, on se sent épaulé dans des moments difficiles, et le syndicat me redonne souvent du courage dans les périodes de découragement professionnel.
azucena a écrit :Je trouve étrange que, après vous avoir exposé ma situation, vous ne me répondiez pas... Aurais-je disparu ? C'est vrai, je suis "senior", je peux bien disparaître... Au fond, je comprends, cela gêne de voir ce qui se profile à l'horizon pour ceux d'entre nous qui ne sont pas confortablement assis... qu'ils soient jeunes ou vieux.
Désolée de ne vous avoir pas répondu dans l'immédiat... Je ne suis pas toujours plantée derrière mon ordinateur et, quand j'y suis, je ne vais pas forcément consulter le forum. Moi aussi je suis une senior et, puisque vous me forcer à me confier quelque peu, je suis très loin d'être aussi « confortablement assise » que vous l'imaginez. Je ne suis pas en CDI, ni même en CDD. Je fais des missions, des piges, pour une semaine, deux semaines, un mois ou deux dans le meilleur des cas (rarement), parfois pour deux ou trois jours, mais toujours en salaire. J'ai raté bien souvent des offres en raison de mon incapacité à facturer, mais j'ai la tête dure, je ne céderai pas. À 54 ans, je vis seule avec mon fils de presque 15 ans, très petitement, ne sachant jamais comment je vais terminer le mois, vivant dans l'angoisse du lendemain quand je termine un travail et que je n'ai rien d'autre en perspective. Je dois alors prendre mon téléphone, envoyer des mails... Je n'ai absolument pas l'âme d'une commerciale, et ces incessantes et nécessaires périodes de prospection me rongent d'angoisse.
azucena a écrit :Mais ce qui vous gêne encore plus c'est de savoir pertinemment que vous n'avez pas la solution aux problèmes des autres. C'est bien connu, qui veut noyer son chien...
Effectivement... Je n'ai pas LA solution, ni aux problèmes des autres, ni aux miens... En tout cas pas la solution immédiate. J'ai bien mon idée sur la façon de créer une société plus juste, mais nous ne sommes pas là pour parler politique.
azucena a écrit :Proclamer qu'il faudrait que nous fussions salariés et syndiqués, c'est facile, nous ne demandons que cela ! Traduire ces paroles en réalité tangible, c'est une autre chose.
Les réalités "de terrain" vous et nous dépassent.
Je dis seulement (voir plus haut) qu'être syndiqué est une force. Vous parliez de la nécessité de créer une corporation représentative de la profession, je vous ai indiqué celle qui a l'immense avantage d'exister, et d'agir.
Les réalités de terrain, je ne les connais que trop bien... Pas seulement dans ma profession. Je fais en effet du bénévolat pour aider certaines personnes qui sont dans une situation autrement plus grave que la mienne.
azucena a écrit :Vous travaillez dans une grande ville, vous êtes salariée, vous êtes syndiquée, vous êtes probablement assez bien rémunérée.
En 2011 vous êtes hélas une exception à ce qui est devenu la règle !
Votre situation, qui peut-être ne vous apporte pas entière satisfaction, et je le conçois, est devenue en quelques décennies une situation enviable qui est loin cependant d'être celle de tout le monde !
Oui, je le reconnais, j'ai la chance de travailler dans une grande ville, et l'immense chance d'avoir réussi à obtenir un appartement HLM, au cœur de Paris, qui plus est. Ce qui d'ailleurs tend à prouver que je n'ai que des petits revenus... Je serais seule, je m'en ficherais, je me débrouillerais toujours. Mais j'ai un fils adolescent intelligent, qui a de bons résultats scolaires, qui a l'ambition de faire un jour un métier qu'il aimera et qui le fera vivre mieux que je ne peux le faire vivre. Je me dois de l'aider et de le pousser. Mais il sait pertinemment qu'il devra travailler en parallèle de ses études.
Eh non, je ne suis pas « salariée », je me fais payer en salaire, nuance importante.
Eh non, ma situation n'est pas enviable, en tout cas pas financièrement. Elle est enviable dans le sens où j'ai choisi ce métier sur le tard, que j'ai lâché un travail salarié en CDI dans lequel je mourais d'ennui, mais où j'étais payée correctement. J'ai fait cela en connaissance de cause, je savais que j'y perdrais beaucoup financièrement. Mais je ne regrette rien.
Il existe aussi des correcteurs TAD, en CDI, dont la situation n'est guère plus enviable : payés à peine plus que le smic, la plupart n'osant rien réclamer de peur d'être licenciés. C'est ce qui est arrivé à des correctrices salariées d'Harlequin qui ont eu le toupet de demander un 13e mois, au même titre que les autres salariés de la société ! Ces correctrices sont passées aux prud'hommes tout récemment, épaulées par le syndicat, et nous attendons tous avec impatience et angoisse le jugement qui sera rendu.
azucena a écrit :Regardez autour de vous comment vivent les autres, tous ceux qui, quel que soit leur âge, n'ont pas les mêmes droits que vous.
Et ils sont légion !
Ouvrons les yeux. Les prétendues crises successives n'ont fait que creuser le fossé entre les travailleurs salariés, même les plus pauvres, les élevant du même coup au rang de "privilégiés", et les autres, tous les laissés-pour-compte de notre société qui, quant à eux, considèrent à présent les premiers comme des nouveaux "nantis".
Et cela fait l'affaire du patronat qui a le choix entre des "salariés au trouillomètre à zéro", de plus en plus serviables, voire asservis, malléables, taxables... et des auto-entrepreneurs qui constituent un sous-prolétariat au rabais... taxable lui aussi.
Ce pseudo-choix de statut m'a été imposé par les circonstances après trente-deux ans de travail salarié durant lesquels j'ai vraiment été exploitée sans que personne d'autre que moi ne se soit élevé contre des situations catastrophiques (la mienne et celle des "clavistes").
Vous prêchez une convaincue, Azucena !
azucena a écrit :On peut critiquer le statut de l'auto-entrepreneur, critiquer ceux qui, n'ayant aucune formation, s'intitulent "correcteurs" (là, je vous rejoins volontiers), critiquer "M. travailler plus pour gagner plus" (je précise au passage que je ne suis absolument pas de son bord, mes convictions politiques sont profondément ancrées ailleurs...), il n'empêche que les syndicats ne font rien pour nous, sinon se poser en donneurs de conseils et de leçons une fois que nous nous sommes cassé la figure. Et des leçons pour qui ? Pour ceux d'entre nous qui travaillent dans de petites structures, loin, bien loin de la presse parisienne et de l'édition avec un grand É...
Je ne peux pas vous laisser dire que les syndicats ne font rien. Vous souhaitez quoi ? Les salariés seuls face aux patrons ? Remontez un peu le temps... Pour nous, les seniors, ce n'est pas si loin que cela, nos parents l'ont vécu : le Front populaire. La semaine de 40 heures, les premiers congés payés, la retraite des mineurs, les allocations chômage, établissement des conventions collectives, et j'en passe (avancées sociales que nos gouvernants actuels cherchent à grignoter petit à petit, soit dit en passant...). Et le Front populaire, s'il a pu exister, c'est grâce au militantisme, à l'unité des masses. Et les syndicats, c'est cela : l'unité. Je ne peux personnellement juger que le syndicat auquel j'appartiens, très actif et très proche de ses adhérents. Bien sûr, il ne peut pas TOUT faire, mais épauler, conseiller, donner la force. Et parfois proposer du travail : certains employeurs en recherche de correcteurs s'adressent au syndicat.
azucena a écrit :En tant que correctrice salariée j'ai été flouée, grugée, humiliée, sous-payée, sans que qui que ce soit, syndicat et inspecteurs du travail compris, ait jugé bon de bouger le petit doigt malgré de multiples appels au secours...
Faute d'avoir assez de travail à me fournir, mon employeur m'avait fait dégringoler quasiment au SMIC et se permettait même de me demander, pour ce tarif, de remplacer le chef du studio prépresse pendant ses absences !
Pendant deux ou trois ans, j'ai continué chaque jour à aller "bosser" sans goût, sans plaisir, parce que je me savais mise au placard, rejetée, considérée inutile. Pire encore, ma présence dans l'entreprise "mangeait" un salaire et on me regardait de travers ! J'arrivais, je m'asseyais, j'attendais le boulot qui n'arrivait pas, qui n'arrivait plus ! Je passais des heures à attendre un maigre feuillet à corriger...
Mon employeur a été au-dessous de tout. Avec moi, avec d'autres aussi, car je n'étais pas seule dans la charrette... Dûment avertie, l'Inspection du travail l'a laissé tranquille parce que son "imprimerie" était le seul gros employeur du canton. "Il a grandement dépassé l'âge de la retraite ; il lui serait facile de mettre la clé sous la porte", nous a-t-on rétorqué quand nous nous sommes plaints...
La France ne se limite pas à Paris. En province, nous mangeons et nous payons nos factures et nos impôts aussi... Quand nous avons la "chance" (toute relative) d'avoir un boulot salarié, que nous soyons jeunes ou vieux, de droite ou de gauche, syndiqués ou pas... nous la fermons parce que nous savons pertinemment que personne, non vraiment personne, ne se mouillera pour nous soutenir si ça tourne au vinaigre pour nous !
Je comprends parfaitement votre amertume et votre colère. Mais... ne pourriez-vous pas utiliser cette colère pour en faire quelque chose de positif, pour vous battre ?
azucena a écrit :À 53 ans, aimant mon métier et n'ayant pas du tout envie d'en changer, j'ai opté pour LA solution qui n'en est pas une : auto-entrepreneur. Et cela parce que j'étais au chômage et que le Pôle emploi m'aurait, "senior" ou pas "senior", cassé les pieds pour que je fasse n'importe quelle formation/reconversion bidon.
... Et alors, qui m'aurait proposé autre chose ? Le Syndicat ?
Combien sommes-nous dans ce cas ?
Eh oui, Azucena, le Syndicat des correcteurs aurait pu vous aider, vous orienter, vous donner des conseils.
azucena a écrit :Par ailleurs, qui dit que les auto-entrepreneurs bradent leurs services ? Personnellement, je pratique un tarif similaire, voire supérieur, à celui conseillé par le Syndicat des correcteurs et m'élève contre tous ceux qui bradent leurs services, tirent les prix, travaillent très vite et très mal et finiront un jour ou l'autre par fermer boutique...
Je n'ai jamais dit ni pensé que les auto-entrepreneurs bradaient leurs services. Certains, oui, mais j'ose espérer que c'est une minorité. Je pense seulement que nombre d'AE ne prennent pas en compte tous les paramètres pour établir leurs prix. Vous dites pratiquer un tarif similaire à celui prôné par le Syndicat des correcteurs... Mais vous oubliez que ce tarif est conseillé pour les salariés, qui bénéficient d'avantages que vous n'avez malheureusement pas, comme les congés payés, une couverture sociale correcte, des cotisations Assedic et, surtout, vous êtes dans une grande précarité en comparaison avec les salariés. En fonction de tout cela, les AE devraient, je pense, doubler le tarif conseillé par le Syndicat pour pallier en partie cette précarité !
azucena a écrit :Vous qui avez la chance de vivre une situation "normale", ne nous accablez donc pas ! Si vous saviez ce que nous donnerions pour travailler à des heures normales, pour un revenu et une protection sociale normaux !
Rares sont les correcteurs qui vivent une situation « normale », même les salariés. Quant à travailler à des heures « normales »... n'en parlons même pas. Par exemple : depuis quelques mois, je travaille les vendredis et samedis soir, de 16 h 30 à 22 h 30 environ, souvent davantage, pour un journal diffusé sur Internet. Je n'ai accepté ce travail, pas très intéressant et payé une misère, que parce que j'ai besoin d'argent. Quand j'aurai un roulement plus régulier dans mes missions et mes piges, si cela arrive un jour, je laisserai tomber ce boulot. Toujours est-il que je n'ai plus un seul week-end à passer avec mon fils (il se débrouille tout seul pour ses repas ces jours-là), à voir des amis, à me délasser un peu, tout simplement.
Autre exemple : une agence de communication qui m'appelle le vendredi pour me demander si je peux faire un travail à rendre... le lundi, bien sûr ! Et, évidemment, pour le même salaire que si je travaillais en semaine.
Ne croyez donc pas que parce qu'on a des horaires normaux et une vie normale parce qu'on se fait payer en salaire.
Je ne veux pas me présenter en martyr, d'autres sont bien plus à plaindre que moi, dont vous. Mais il était nécessaire que je vous réponde, car vous vous faites des idées erronées sur la « vie normale » du correcteur parisien salarié.
Je vous fais des excuses, à vous et à tous les habitués de ce forum, de m'être ainsi laissée aller à parler de moi. Ce n'est pas dans mes habitudes, je préfère m'en tenir aux strictes questions de typo ou de grammaire.